"who secretly host doppelgangers & strangers in the mirror stowaway stars parallel universes parallel nights rivers lives..." - henrik aeshna Amour & autres hallucinogènes - LOVE & OTHER HALLUCINOGENS Photography: HENRIK AESHNA, Paris, 2012 « Oh, I’m burning! I wish I were out of doors! I wish I were a girl again, half savage and hardy, and free; and laughing at injuries, not maddening under them! Why am I so changed? why does my blood rush into a hell of tumult at a few words? I’m sure I should be myself were I once among the heather on those hills. Open the window again wide: fasten it open! Quick, why don’t you move?’ ‘Because I won’t give you your death of cold,’ I answered. ‘You won’t give me a chance of life, you mean,’ she said, sullenly. ‘However, I’m not helpless yet; I’ll open it myself.’' Emily Brontë, Wuthering Heights
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"Elle danse Saoulée de désir Dans le bar floue Devant les yeux ballonnés des buveurs Qui fendent des ballets de gaz !" Invocation Réminiscences humides Irriguent à l’agonie du miel Trempe les chaires Un autre calendrier dans l’âme Saisissant la puissance des sens Egorgeant parfois la raison Qu’importe la fenêtre du paysage ! Gaelle Elle ne marche pas Elle glisse comme de l’eau Une douceur de pétale sur le visage Dans les gestes, l’étonnement d’une jeune bête Les yeux embués de mystère Impression de sacré Force nue épurée Le regard lointain D’une île L’évangile selon sainte tania Elle danse Saoulée de désir Dans le bar floue Devant les yeux ballonnés des buveurs Qui fendent des ballets de gaz ! Des pantins pour demain Elle effleure les fantômes Fumant les chants Bénissant le bar D’ondulations de lunes A divaguer, s’évaguer. Puis au matin s’astrabule, foliote A la dérive flottante Aux caresses d’un amant de passage. Messager de faiblesse et d’éclisse Vivre, voyager, courir, douter, reprendre Même si épuisé Même si difficile S’étourdir Se prendre pour un cheval fou Reniflant la chatte d’une jeune fille de passage Lettre Elle cherche des bittes énormes Des équipages pour son gouffre Des spéléos, léos, dadas, gourdins, courgins Mais elle est mon amie Un cœur tendre, Un cœur tendre La noblesse sans gouvernail Laé Elle libérait mon enfance Convulsée sur mon histoire Ses cordes frottaient mon âme Loin de la messe des rats Galopant Dans la beauté du drame Dansant éjectés de la camisole Sur le fumier du monde Traversant gouffres et fortunes Fleure éclatée sous mes aspirations Ses yeux fermés attrapent la vie Oublient le rôle ? ? ? est-ce que ma flûte résonne au loin rythmant sa jupe et son souffle ? ? ? Journal d’un loup de bar Bar, lustre, paroles à gogo Braguette décousue Chatte au balcon Musique bla, bla, bla Nichons, jarretelles Elles nous rendent .... ! ! ! ! Pourquoi ? ! Quelle heure est-il ? Bouffes au lance pierre Crépuscule vaporeux Enfumé, délire, argent, je note ? Qui conduit ? Qui baise qui ? je t’aime A boire ? ? ? ? ? Qui baisera qui ? ? ? Et demain ? ? ? Qui baisera qui ? ? ? et et e t .... (Lointain intérieur) ENTRE CENTRE ET ABSENCE MA VIE S'ARRÊTA J'étais en plein océan. Nous voguions. Tout à coup le vent tomba. Alors l'océan démasqua sa grandeur, son interminable solitude. Henri MICHAUX "Pardon, je suis en retard, je viens de gamahucher ma mère." — (Charles Baudelaire, rapporté par les frères Goncourt dans leur Journal du 11 avril 1863) Photo: jeune Baudelaire, punk voyou aux cheveux verts. Daguerréotype de 1850. Collection M. Roue PARTIR
S'il vient sauras-tu le prendre le navire annoncé par les cinq océans Sauras-tu éviter les vagues qui viennent mordre le rivage L'écume dans la gueule blanche à faire reculer la nuit Pour que le jour ne s'achève jamais Pour que tu ne te reposes plus Il y a tant à faire sous le soleil S'il vient sauras-tu l'ennoblir ce bateau Décroche un croissant de lune Et voici une coque longue et fine comme une goélette Taille quelques rayons de soleil Et voilà un fier trois-mâts qui relève la tête Saisis une étoile filante en vol Et tiens bon la barre aux cinq épines de lumière Déchire la queue d'une comète Et mets toutes voiles de feu dehors Vers le Nord Au pays des couleurs bleues où la neige est blanche Où les troupeaux de rennes traversent les vallées qui descendent dans les fjords Nous donnant la mer à la bouche Vers le Nord où vagabondent les poésies Qui nous entraînent dans les pays du beau et du bon Pars comme se baladait le nain sur l'oie sauvage Tu prendras le premier oiseau qui dépliera ses ailes devant ta maison Ses plumes racontent que dans le froid il y a une odeur de cheminée Une main qui désire la tienne Des moufles en laine de toutes les couleurs qui galopent sur la prairie Écoute le chant des bâtisseurs de cathédrales Leurs voix maçonnent des fenêtres dans nos cœurs Leurs mains nous montrent les épaves des châteaux de sable S'agenouillant à la marée Implorant la princesse à la robe d'écume Pour qu'elle revienne du nouveau monde Nous raconter des histoires à dormir debout contre la vie YVON LE MEN, Le jardin des tempêtes: Choix de poèmes 1971-1996, Ed. Flammarion "Angèle Vannier, aveugle, préserve tout de l'ombre. Merveilleusement" (Paul Éluard) Angèle Vannier (1917 - 1980). Devient aveugle à 22 ans. Écrit pour Édith Piaf (Le chevalier de Paris), réalise des émissions et des pièces de théâtre radiophoniques. Parmi ses autres recueils : Avec la permission de Dieu (Seghers, 1953) ; Théâtre blanc (Rougerie, 1970) ; Parcours de la nuit (Librairie bleue, 1978) ; Otage de la nuit (essai, Librairie bleue, 1978) ; Poèmes choisis : 1947-1978 (Rougerie, 1990). L'arbre à feu (extraits), La nuit Ardente, & poèmes choisis
Entre la pluie et le soleil L'aveugle touche l'arc-en-ciel L'aime, le respire et l'écoute Sans s'étonner que sur sa route Un bras ami des yeux du cœur Ait envoyé les sept couleurs. * Je dis Violet quand les statues Rêvent de Pâques revenues L'Indigo sur ma langue passe Quand je la passe à l'eau de grâce Où la boule miraculeuse Fut plongée par quelques laveuse. Je dis Bleu quand les hirondelles Reconnues au bruit de leurs ailes Rentre au nid de ma tourelle… Je dis Rouge quand ton amour Se met à traverser ma nuit… J'adhère J'adhère au chant du berger solitaire qui use du bois de son propre corps pour alimenter le feu créateur J'adhère au voyou à l'œil louche qui jette son mégot contre une meule de paille pour griller l'antre du métayer J'adhère à la jeune fille qui se noie dans les eaux inférieures pour un simple chagrin d'amour J'adhère à la chute des eaux supérieures qui lavent notre crasse et fait des vierges avec des putains épuisées J'adhère aux crucifiés de tous les siècles pour cause de guerre de religion J'adhère aux filles de joie qui se promènent dans les chansons à boire assassinées par les rouliers dans les soupentes J'adhère au feu à l'eau quelles que soient leurs sources et leurs embouchures J'adhère à l'élément trouvé pour faire la soudure dans les mines de la nature. * La quatrième chambre est un ventre de pluie La voyeuse affutée jusqu'au faîte du regard Dort dans la dormition de cette prose humide et ronde investie par son double au comble de sa chair Un nénuphar aveugle a surgi de ses paumes De voyeuse à voyante il existe un loup blanc qui écarte en rêvant les cuisses de la femme pour peu qu'elle consente à ce ventre de pluie le soir où les chasseur visent des roses mâles Présence d'un château Ce château m'appartient ce soir jusqu'à la gorge Mon cri nourrit la nuit tournante des couloirs Et les grands escaliers que mes pas interrogent Et l'ombre d'un passé qui voûte le miroir J'ai refermé sans bruit les ailes des horloges Et décousu tout un réseau de portes vierges De mémoire Mon souffle aiguise une épée morte et mon regard Ouvre un bal sous la peau d'un crime par hasard Tous les tableaux que je rencontre me ressemblent Toutes les rondes que j'allume tournent court Pourtant je puis ici filer le feu et tout ensemble Comme on garde le lit je puis garder la tour Des eaux remuent sous les paupières de la cendre C'est un étang Que j'aimerais ne pas trahir avant le jour Il portera le même nom que moi les nuits d'orage Puisqu'il surgit du même sang Du même amour Je convoite l'étang mais je garde la tour Il ne réglera plus les jeux de ton visage Sur le vol des canards sauvages Voyez il a changé de cygne entre deux pages Pour troubler la face du jour (Le sang des nuits. - Seghers, 1966. Reproduit dans l'anthologie de Bruno Doucey, Jean-Pierre Siméon, Emmanuelle Leroyer et Anne Dieusaert : C'était hier et c'est demain : 65 poètes disparus (Seghers, 2004). * Gaël extrait de son sac à dos une boite d'allumettes, un paquet de bâtonnets d'encens, un traité de magie de Papus, un couteau et de vieux journaux. Il pose le tout sur la grande dalle de granit où Viviane et Merlin, d'après la légende, se sont pris l'un pour l'autre d'un amour fou que l'usure des siècles n'a pas réussi à entamer. Anne dit : --- Quelle folie, Fabienne ! Quelle folie de nous avoir entraînés ici ! Brocéliande ! Il est environ onze heures du soir. C'est la nuit de la Saint-Jean d'été, le solstice d'été. Fabienne rayonne : elle a atteint son but en temps voulu. Elle est à genoux au bord de la fontaine. Gaël la regarde : elle n'est pas jolie ; pourtant Gaël a tapissé sa chambre d'une série de portraits de Fabienne dessinés par lui. Il a cru souvent puiser dans la contemplation de ce visage au front bas, aux pommettes saillantes, au menton volontaire, l'énergie dont il a besoin pour secouer son penchant à la rêverie confuse, car il sait que quand Fabienne, elle, s'engage dans le rêve, c'est pour creuser les fondations de quelque chose qui avec le temps fini toujours par prendre corps. (La nuit ardente) QUI EST ANGÈLE VANNIER ? par Nicole Laurent Un nom trop oublié, une étoile qui a passé dans le ciel surréaliste, une aveugle voyante. C’est d’abord une jeune fille de la bourgeoisie rennaise qui fait ses études de pharmacie. Un jour à la table de famille elle déclare qu’elle devient aveugle. On se récrie que c’est encore Angèle qui veut faire son intéressante. Mais c’est un glaucome qui se déclare et la laisse aveugle à 22 ans. On est en 1939. Non, c’était d’abord une enfant que sa mère avait confiée à l’âge de huit mois à la grand-mère, on est en avril 1918, à la fin de la grande guerre. Est-ce nécessité d’aller à la campagne pour avoir du lait ? Est-ce fatigue de la mère ? Angèle n’a jamais su et s’est forgé une légende autour de cette demeure, le Châtelet à Bazouges-la-Pérouse, où vivaient à l’époque quatre femmes sans un seul homme, deux vierges et deux veuves, comme elle disait : la servante et la tante fille de la grand-mère d’une part, la grand-mère et sa belle-sœur d’autre part. L’enfant y restera jusqu’à l’âge de huit ans, pourquoi si longtemps ? Là encore énigme. La petite fille y est choyée comme une reine. Ensuite elle retourne à Rennes dans sa famille et va à l’école de l’Immaculée. Devenue aveugle, Angèle Vannier quitte sa famille et retourne dans la demeure où elle a vécu son enfance, entre la servante et la tante seules, la grand-mère et la grand-tante étant mortes. Elle reste un an sans rien faire d’autre qu’apprivoiser ce monde nouveau où la hiérarchie des sens est bouleversée. Alors elle écrit ou plutôt elle dicte des poèmes, elle marche dans la forêt, elle fait du tandem et peu à peu elle renaît à la vie. Une amie lui lit les poètes et « Le Goéland » le journal de Théophile Briant auquel elle est abonnée. Elle y envoie ses poèmes qui sont publiés, elle reçoit le prix de poésie et Théo préface son premier recueil : Les songes de la lumière et de la brume, paru en 1946. La cécité qui l’a abattue pendant un an, où elle s’est enfermée comme dans un cocon, un nouvel utérus, elle en fait son cheval de bataille, l’acceptant, mieux encore la revendiquant, la choisissant comme dans ce poème : S’ils venaient du bout du monde Avec leurs petits couteaux Dont la pointe est sans défaut Pour tuer mes yeux nouveaux ………. Je lâcherais mes bons chiens Sur leurs gueules d’assassins Et m’endormirais tranquille Aux plis de ma bonne ville. Plus tard elle dira : « Mes yeux fondirent dans ma bouche / Je pris la nuit comme un bateau la mer », verbe actif, mais aventure aussi sur cette mer d’inconnu et de périls. Elle vit cela comme un défi, veut vivre comme tout le monde, sans apprendre le braille, sans canne blanche. La crainte que la cécité ne lui ferme les portes de l’amour. Ah ! comment voulez-vous qu’on s’aime Sans se regarder dans les yeux ? dit-elle dans La fille aveugle. Rentrée à Rennes, elle fait des émissions de radio à Radio-Rennes avec Per Jakez Helias, sortes de scénarios poétiques et ancrés dans la légende. Elle fréquente la faculté des Lettres. A partir de 1947 elle voyage à Paris, seule et sans canne blanche. On la conduit à la gare de Rennes, un ami l’attend à Montparnasse. Elle assiste aux dîners de Théophile Briant à la brasserie Lipp où elle rencontre des poètes comme Germaine Beaumont, Charles Le Quintrec, Luc Bérimont, Maurice Fombeure. Elle fréquente le Tout Paris. Un temps, un journal à sensation l’accuse en première page de vouloir détrôner Edith Piaf qui ne fait qu’en rire. Elles sont amies, ont même taille, même allure, même manteau, même présence de la voix et Angèle fait des spectacles de lectures et chant. Elle écrit Le Chevalier de Paris qu’Edith Piaf va créer et qui fera le tour du monde en plusieurs langues, en allemand avec Marlène Dietrich, en anglais avec Sinatra ou Bing Crosby, plus tard reprise par Yves Montand ou Catherine Sauvage. A Paris également Angèle rencontre Paul Eluard, et par lui le surréalisme qui va marquer un tournant dans son œuvre. Eluard reconnaît en elle un grand poète et préface son deuxième recueil: L’Arbre à feu, paru en 1950, où il dit « Angèle Vannier préserve tout de l’ombre, merveilleusement. » Désormais la vie et l’œuvre de la poète aveugle s’interpénètrent et elle sait se créer un monde avec des personnages hauts en couleurs. Elle met en scène la demeure de l’enfance, où la servante lui contait les histoires de loups, de fées, de princes, la grand-mère lui chantait la violette double ou le furet du bois joli, la grand-tante aux bijoux d’améthyste ne quittait pas sa chambre et se serait pendue. Enfin Mademoiselle, sa tante, à la religion si austère, racontait Angèle, qu’elle ne voulait point s’asseoir sur une chaise où un homme aurait pris place avant elle. Atmosphère étouffante pour la jeune poète au point qu’il lui faudra bien un jour « brûler les bibles de famille et briser le sablier légué par les aïeux » pour oser vivre enfin la grande révélation de la chair. De poèmes rimés et rythmés, dont certains ont fait des chansons, où le folklore enfantin des loups, des bergères et des contes et les références bibliques tiennent une large place, elle passe à des textes plus énigmatiques, plus symboliques d’où émerge peu à peu non plus la jeune fille, mais la femme dans tout son épanouissement. Elle passe selon le mot d’André Guimbretière « d’une écriture de représentation à une écriture d’apparition ». Elle ne dit plus le monde tel qu’il est ou rêvé mais crée un nouveau monde grâce à des images fortes et colorées. C’est désormais un monde de sensations : odeurs, sons, touchers, mais aussi et paradoxalement un monde de clair-obscur et de couleurs : « Un loup s’endort au cœur d’un triangle écarlate ». Les citations seraient nombreuses. Angèle s’est mariée et, grâce sans doute à des lectures conjointes et à l’influence surréaliste, l’astrologie, la psychanalyse, la psychologie des profondeurs viennent nourrir son imaginaire. Le Choix de poèmes paru chez Seghers en 1961, témoigne de cette évolution. Mais c’est dans Le sang des nuits, paru chez le même éditeur en 1966 que la métamorphose est complète. Parallèlement elle écrit un roman, La nuit ardente paru en 1969 chez Flammarion où la Bretagne se fait toute présente avec ses rites, ses légendes et ses mystères. Il ne faut pas se le cacher, les poèmes de la seconde époque d’Angèle Vannier sont difficiles, énigmatiques. Mais quelques clés nous aident à entrer dans son monde où l’étrange de la vie se révèle à travers des mots concrets qui font image et symbole : le miroir, l’horloge, le château, la couleur bleue et la nuit, la nuit, la nuit. Ce qui fait difficulté c’est la collusion des mots, ces images surprenantes, surréalistes encore une fois, et la densité de l’écriture. C’en est fini des phrases construites logiquement, des vers rimés, ici ce sont des juxtapositions, des infinitifs, des ruptures de ton. L’anecdote s’efface au profit d’une profusion de sensations, couleurs, sons, touchers. Ce ne sont plus les contes mais désormais les mythes, celui de Mélusine en particulier, et celui d’Œdipe ou de don Juan qu’elle mâche, rumine, recrée et décortique. Pour conclure, je voudrais citer quelques lignes de Jean-Pierre Siméon dans la revue ARPA n° 45 : “ Angèle Vannier qui ne s’est jamais enfermée dans un système de pensée, dans une perception univoque de la réalité, a eu recours simultanément aux symboles de l’astrologie, des cartes, des mythologies, voire de la culture populaire telle qu’elle s’exprime dans la culture gallèse, bref elle a sollicité tout ce qui, plongeant par ses racines au plus profond de l’inconscient collectif, pouvait restituer au travers d’un langage allusif et analogique l’énigme qui l’obsédait et nous obsède désespérément. Si l’on songe aujourd’hui à cerner l’originalité de l’apport d’Angèle Vannier dans la poésie contemporaine, c’est là à mon sens qu’il faut chercher : usant avec audace des chemins les plus improbables un poète nous invite à nous reconnaître dans l’inconnu. " XAVIER GRALL, Oeuvre Poétique, Rougerie, 2010 Et maintenant donnez-moi un double verre De Scotch Chaud comme la paille de l'été Blond comme une fille du Nord Afin que la rage d'aimer Traverse mon corps et mon âme Et maintenant allumez-moi ce Bar De toute l'allégresse de Midi Ouvrez les portes sur la bonté de la rivière Je veux voir les saules Frémir sur les roselières Et maintenant donnez-moi un double verre De Scotch Brun comme ma maison de maïs Vitre magnétique et fraternel Que l'alcool fulgure mes pensées XAVIER GRALL, Oeuvre Poétique, Rougerie, 2010 Xavier Grall (1930-1981) a été le barde d'une Bretagne rêvée. Dans ses nombreux textes – il fut poète, essayiste, journaliste, romancier – il chantera toujours une vision unique et personnelle de son pays et de son peuple. Excessif et passionné, tendre et torturé, Xavier Grall est l'une des plus grandes plumes de la littérature bretonne de langue française. "Cela commença sous les rires des enfants, cela finira par eux." "chevalet féerique !" "ce poison va rester dans toutes nos veines même quand, la fanfare tournant, nous serons rendu à l'ancienne inharmonie." "Hourra pour l'œuvre inouïe et pour le corps merveilleux, pour la première fois !" "cela finit par une débandade de parfums." "On nous a promis d'enterrer dans l'ombre l'arbre du bien et du mal, de déporter les honnêtetés tyranniques, afin que nous amenions notre très pur amour." Matinée d'ivresse
Ô mon Bien ! Ô mon Beau ! Fanfare atroce où je ne trébuche point ! chevalet féerique ! Hourra pour l'œuvre inouïe et pour le corps merveilleux, pour la première fois ! Cela commença sous les rires des enfants, cela finira par eux. Ce poison va rester dans toutes nos veines même quand, la fanfare tournant, nous serons rendu à l'ancienne inharmonie. Ô maintenant, nous si digne de ces tortures ! rassemblons fervemment cette promesse surhumaine faite à notre corps et à notre âme créés : cette promesse, cette démence ! L'élégance, la science, la violence ! On nous a promis d'enterrer dans l'ombre l'arbre du bien et du mal, de déporter les honnêtetés tyranniques, afin que nous amenions notre très pur amour. Cela commença par quelques dégoûts et cela finit, — ne pouvant nous saisir sur-le-champ de cette éternité, — cela finit par une débandade de parfums. Rires des enfants, discrétion des esclaves, austérité des vierges, horreur des figures et des objets d'ici, sacrés soyez-vous par le souvenir de cette veille. Cela commençait par toute la rustrerie, voici que cela finit par des anges de flamme et de glace. Petite veille d'ivresse, sainte ! quand ce ne serait que pour le masque dont tu nous as gratifié. Nous t'affirmons, méthode ! Nous n'oublions pas que tu as glorifié hier chacun de nos âges. Nous avons foi au poison. Nous savons donner notre vie tout entière tous les jours. Voici le temps des Assassins. ARTHUR RIMBAUD, Illuminations "une somnambule échappée d’un poème de Yeats, au milieu des rochers blancs et de la mer verte du Nord..." Octavio Paz à propos de Leonora Carrington (1917-2011) Souffle, beugle comme un fou
En pensant à Alain Jégou (1948-2013) Souffle, Vieil Ange, souffle, beugle comme un fou Souffle Je veux tout ça maintenant Ta chemise rouge, une vieille Chevrolet 36 Et une grande bouteille de vin de Tokay Souffle Je veux tout ça moi aussi Tes gestes existentiels, ton émoi, tes braillements Ta vraie vision secrète de l’éternité d’or Et bien d’autres choses encore Souffle, Vieil Ange, souffle, beugle comme un fou Souffle Je veux tout ça maintenant Flânocher, rouler sous les ponts Me payer du bon temps Souffle Je veux tout ça moi aussi Passer des journées à rêvasser Faire le con et ne me soucier de rien Ni de la dinguerie de la vie ni de ma misérable solitude Souffle Les lèvres collées sur le bec de ton saxophone Fais retentir tes notes, swingue avec nonchalance Une trille, un gargouillis Souffle Je veux tout ça moi aussi Tes quatre mesures, une mélodie cuivrée Un bêlement furieux Chante-moi ton chorus déchaîné Souffle, Vieil Ange, souffle, beugle comme un fou Souffle Je suis un dément amoureux de la vie Englouti par la nuit, je ne me soucie de rien Et je transcris les sons de mon esprit Souffle Le cœur joyeux, envoyé en l’air Mes yeux brillent, ah-ha ! Comme si c’était pour la première fois dans la pâle éternité Souffle, Vieil Ange, souffle, beugle comme un fou Souffle Sois-moi clément Il y a dans l’air l’exaltation du jazz Il y a de l’allégresse Un grand frisson dans le vent Souffle Je veux tout ça moi aussi Des signes prophétiques chuchotés Des visions, des vociférations Et un nouveau break sauvage Souffle Souffle tes notes dingues Souffle une mélodie mélancolique Souffle et rêve que la vie est un rêve Souffle et laisse le bon temps rouler O ange de la solitude Perché sur le bord de la route Vide et éveillé Torturé et incompris Dans ta transe, debout Insouciant et buvant de la bière Souffle Comme si rien n’était jamais arrivé Souffle, ange silencieux du printemps Souffle avec ardeur Souffle à l’instant même Souffle en marchant du côté ensoleillé de la rue Souffle en saluant les péniches et les autobus de mon vieux Paris Souffle dans le murmure incessant de la ville Souffle au fond d’un café où tu te caches pour pleurer Souffle parce qu’ils t’ont percé les mains et les pieds Souffle parce que le monde est une horreur sans fond Souffle devant le tombeau vide Souffle tes quatre mesures pour aller en paix dans le vent du printemps Souffle, Vieil Ange, souffle, beugle comme un fou Souffle Je veux tout ça maintenant Tes ailes ruisselantes Ton cœur joyeux et épuisé Souffle Je veux tout ça moi aussi Faire encore une grande virée M’agiter dans tous les sens Bondir et courir Et me réveiller une dernière fois les cheveux au vent au bord de la route. In memoriam Alain Jégou Sorti à tâtons dans la nuit tombante Ciel âpre et froid Triste Perdu dans le fracas le flot ininterrompu du monde Livré à ma solitude Assis dans la nuit décharnée Je reste Implorant la paix invisible L’instant le hasard notre bonne étoile La clé de notre jeunesse perdue L’oiseau qui donnait la sensation du bonheur Mirages miraculés sous la morsure des vents Bourlingueur de l’océan Il était comme le vent qui fait glisser l’écume Comme la pluie dans le cœur des nuages Comme la foudre Il a pris le cap Il est entré en silence dans le monde du rêve Il est entré au pays dont nul ne revient Projeté nu dans la lumière écrue Et maintenant qui hissera les voiles contre vents et marées ? Qui rugira le dernier poème acide sexe et rock and roll ? Qui franchira la passe Ouest pour se bâfrer de visions ? Qui rendra tous les poissons à l’océan ? Le cri de la mer dans les oreilles Et maintenant qui m’appellera frère ? Qui versera du vin pour me consoler ? Qui braillera avec moi à tue-tête sans se soucier du lendemain ? Qui m’accompagnera dans ma longue nuit ? Tous sanglots ravalés Je détourne la tête pour cacher mes larmes Je sais seulement qu’il est parti Je ne sais où (Les vers en italique sont extraits de « Une meurtrière dans l’éternité ») Bruno SOURDIN ...et d'invoquer mes dieux, le dieu Jazz par exemple... CLAUDE NOUGARO (1929-2004), C'est dit, Editions Gallimard, 2006 "Blakean Bum/Time is Honey", "Blackswan" & "Kamikaze" by © Henrik Aeshna
BLAKEAN BUM / TIME IS HONEY "don't spend time beating on a wall hoping to transform it into a door", coco chanel said - i kick off the week sipping life's sweet & sour (dew & debris) as if tasting a bottle of champagne for breakfast calmly enjoying my honeymoon w/ madness BLACKSWAN i’ve got two stripes of vertigo in place of the eyebrows smile carved by knife & nytroglycerin tongue i’ve got you in my sky necklace as a Morning-Starlike pendant KAMIKAZE first time we made love i heard a nova in the sky with honeysuckle stars swandiving into my fishbowl * EN FRANCAIS: CLOCHARD DE BLAKE / TIME IS HONEY « ne gaspilles pas ton temps à frapper un mur en espérant le transformer en une porte », disait coco chanel - je débute la semaine en goûtant le doux & l'amer de la vie (rosée & débris) comme si c'était une bouteille de champagne au p’tit déj' en profitant calmement de ma lune de miel avec la folie CYGNE NOIR j’ai deux rayures de vertige à la place des sourcils le sourire taillé au couteau & une langue de nitroglycérine tu es dans mon collier de ciel comme un pendentif de l’étoile du matin KAMIKAZE la première fois que nous avons fait l’amour j’ai entendu une nova dans le ciel & des étoiles de chèvrefeuille se précipiter dans mon aquarium Tous les soirs quand je suis seule Je te raconte ma tendresse Et j’étrangle une fleur. Le feu lentement se meure Contracté de tristesse Et dans le miroir où dort mon ombre Des papillons demeurent. Tous les soirs quand je suis seule Je lis l’avenir dans les yeux des moribonds Je mêle mon haleine au sang des hiboux Et mon cœur court crescendo avec les fous. - JOYCE MANSOUR, Déchirures (1955) Appelle-moi par mon dernier nom. Accroche mes vêtements aux planètes aux étoiles. Que mes jambes sans issue marchent sur la terre En semant mon désespoir dans les cœurs des animaux Que mes dernières réponses sonnent comme des glas Pour appeler les hommes à l'absolution. JOYCE MANSOUR, Cris (1953) "La faculté de rêverie est une faculté divine et mystérieuse ; car c'est par le rêve que l'homme communique avec le monde ténébreux dont il est environné." Charles BAUDELAIRE TSUNAMI GANG: a wild art & poetry zine edited by Henrik Aeshna/Eros en Feu Tsunami bOOKS Paris "i like the slowest poisons, the most bitter drinks, the most powerful drugs, the craziest ideas, the most complex thoughts & the strongest feelings. my appetite is voracious and my hallucinations even crazier. you can even throw me off a cliff, i'll say: - so what? i love to fly"
(clarice lispector) La Prophétie D’une place de Paris jaillira une si claire fontaine Que le sang des vierges et les ruisseaux des glaciers Près d’elle paraîtront opaques. Les étoiles sortiront en essaim de leurs ruches lointaines Et s’aggloméreront pour se mirer dans ses eaux près de la Tour Saint-Jacques. D’une place de Paris jaillira une si claire fontaine Qu’on viendra s’y baigner, en cachette, dès l’aurore. Sainte Opportune et ses lavandières seront ses marraines Et ses eaux couleront vers le sud venant du nord. Un grand marronnier rouge fleurit à la place Où coulera la fontaine future, Peut-être dans mon grand âge Entendrai-je son murmure ; Or le chant est si doux de la claire fontaine Qu’il baigne déjà mes yeux et mon cœur. Ce sera le plus bel affluent de la Seine, Le gage le plus sûr des printemps à venir, de leurs oiseaux et de leurs fleurs. Robert Desnos |
Author"PARIS est un vertige Archives
May 2018
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