Souffle, beugle comme un fou
En pensant à Alain Jégou (1948-2013) Souffle, Vieil Ange, souffle, beugle comme un fou Souffle Je veux tout ça maintenant Ta chemise rouge, une vieille Chevrolet 36 Et une grande bouteille de vin de Tokay Souffle Je veux tout ça moi aussi Tes gestes existentiels, ton émoi, tes braillements Ta vraie vision secrète de l’éternité d’or Et bien d’autres choses encore Souffle, Vieil Ange, souffle, beugle comme un fou Souffle Je veux tout ça maintenant Flânocher, rouler sous les ponts Me payer du bon temps Souffle Je veux tout ça moi aussi Passer des journées à rêvasser Faire le con et ne me soucier de rien Ni de la dinguerie de la vie ni de ma misérable solitude Souffle Les lèvres collées sur le bec de ton saxophone Fais retentir tes notes, swingue avec nonchalance Une trille, un gargouillis Souffle Je veux tout ça moi aussi Tes quatre mesures, une mélodie cuivrée Un bêlement furieux Chante-moi ton chorus déchaîné Souffle, Vieil Ange, souffle, beugle comme un fou Souffle Je suis un dément amoureux de la vie Englouti par la nuit, je ne me soucie de rien Et je transcris les sons de mon esprit Souffle Le cœur joyeux, envoyé en l’air Mes yeux brillent, ah-ha ! Comme si c’était pour la première fois dans la pâle éternité Souffle, Vieil Ange, souffle, beugle comme un fou Souffle Sois-moi clément Il y a dans l’air l’exaltation du jazz Il y a de l’allégresse Un grand frisson dans le vent Souffle Je veux tout ça moi aussi Des signes prophétiques chuchotés Des visions, des vociférations Et un nouveau break sauvage Souffle Souffle tes notes dingues Souffle une mélodie mélancolique Souffle et rêve que la vie est un rêve Souffle et laisse le bon temps rouler O ange de la solitude Perché sur le bord de la route Vide et éveillé Torturé et incompris Dans ta transe, debout Insouciant et buvant de la bière Souffle Comme si rien n’était jamais arrivé Souffle, ange silencieux du printemps Souffle avec ardeur Souffle à l’instant même Souffle en marchant du côté ensoleillé de la rue Souffle en saluant les péniches et les autobus de mon vieux Paris Souffle dans le murmure incessant de la ville Souffle au fond d’un café où tu te caches pour pleurer Souffle parce qu’ils t’ont percé les mains et les pieds Souffle parce que le monde est une horreur sans fond Souffle devant le tombeau vide Souffle tes quatre mesures pour aller en paix dans le vent du printemps Souffle, Vieil Ange, souffle, beugle comme un fou Souffle Je veux tout ça maintenant Tes ailes ruisselantes Ton cœur joyeux et épuisé Souffle Je veux tout ça moi aussi Faire encore une grande virée M’agiter dans tous les sens Bondir et courir Et me réveiller une dernière fois les cheveux au vent au bord de la route. In memoriam Alain Jégou Sorti à tâtons dans la nuit tombante Ciel âpre et froid Triste Perdu dans le fracas le flot ininterrompu du monde Livré à ma solitude Assis dans la nuit décharnée Je reste Implorant la paix invisible L’instant le hasard notre bonne étoile La clé de notre jeunesse perdue L’oiseau qui donnait la sensation du bonheur Mirages miraculés sous la morsure des vents Bourlingueur de l’océan Il était comme le vent qui fait glisser l’écume Comme la pluie dans le cœur des nuages Comme la foudre Il a pris le cap Il est entré en silence dans le monde du rêve Il est entré au pays dont nul ne revient Projeté nu dans la lumière écrue Et maintenant qui hissera les voiles contre vents et marées ? Qui rugira le dernier poème acide sexe et rock and roll ? Qui franchira la passe Ouest pour se bâfrer de visions ? Qui rendra tous les poissons à l’océan ? Le cri de la mer dans les oreilles Et maintenant qui m’appellera frère ? Qui versera du vin pour me consoler ? Qui braillera avec moi à tue-tête sans se soucier du lendemain ? Qui m’accompagnera dans ma longue nuit ? Tous sanglots ravalés Je détourne la tête pour cacher mes larmes Je sais seulement qu’il est parti Je ne sais où (Les vers en italique sont extraits de « Une meurtrière dans l’éternité ») Bruno SOURDIN
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Author"PARIS est un vertige Archives
May 2018
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