"Elle danse Saoulée de désir Dans le bar floue Devant les yeux ballonnés des buveurs Qui fendent des ballets de gaz !" Invocation Réminiscences humides Irriguent à l’agonie du miel Trempe les chaires Un autre calendrier dans l’âme Saisissant la puissance des sens Egorgeant parfois la raison Qu’importe la fenêtre du paysage ! Gaelle Elle ne marche pas Elle glisse comme de l’eau Une douceur de pétale sur le visage Dans les gestes, l’étonnement d’une jeune bête Les yeux embués de mystère Impression de sacré Force nue épurée Le regard lointain D’une île L’évangile selon sainte tania Elle danse Saoulée de désir Dans le bar floue Devant les yeux ballonnés des buveurs Qui fendent des ballets de gaz ! Des pantins pour demain Elle effleure les fantômes Fumant les chants Bénissant le bar D’ondulations de lunes A divaguer, s’évaguer. Puis au matin s’astrabule, foliote A la dérive flottante Aux caresses d’un amant de passage. Messager de faiblesse et d’éclisse Vivre, voyager, courir, douter, reprendre Même si épuisé Même si difficile S’étourdir Se prendre pour un cheval fou Reniflant la chatte d’une jeune fille de passage Lettre Elle cherche des bittes énormes Des équipages pour son gouffre Des spéléos, léos, dadas, gourdins, courgins Mais elle est mon amie Un cœur tendre, Un cœur tendre La noblesse sans gouvernail Laé Elle libérait mon enfance Convulsée sur mon histoire Ses cordes frottaient mon âme Loin de la messe des rats Galopant Dans la beauté du drame Dansant éjectés de la camisole Sur le fumier du monde Traversant gouffres et fortunes Fleure éclatée sous mes aspirations Ses yeux fermés attrapent la vie Oublient le rôle ? ? ? est-ce que ma flûte résonne au loin rythmant sa jupe et son souffle ? ? ? Journal d’un loup de bar Bar, lustre, paroles à gogo Braguette décousue Chatte au balcon Musique bla, bla, bla Nichons, jarretelles Elles nous rendent .... ! ! ! ! Pourquoi ? ! Quelle heure est-il ? Bouffes au lance pierre Crépuscule vaporeux Enfumé, délire, argent, je note ? Qui conduit ? Qui baise qui ? je t’aime A boire ? ? ? ? ? Qui baisera qui ? ? ? Et demain ? ? ? Qui baisera qui ? ? ? et et e t ....
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(Lointain intérieur) ENTRE CENTRE ET ABSENCE MA VIE S'ARRÊTA J'étais en plein océan. Nous voguions. Tout à coup le vent tomba. Alors l'océan démasqua sa grandeur, son interminable solitude. Henri MICHAUX "Pardon, je suis en retard, je viens de gamahucher ma mère." — (Charles Baudelaire, rapporté par les frères Goncourt dans leur Journal du 11 avril 1863) Photo: jeune Baudelaire, punk voyou aux cheveux verts. Daguerréotype de 1850. Collection M. Roue "La lune se couchait, et le dernier de ses rayons emporta bientôt le voile d'une pudeur qui, je crois, devenait importune. Tout se confondait dans les ténèbres." D. Vivant Denon (1747-1825), Point de lendemain Rue Gît-le-Coeur, Paris. Visite-happening-shooting (photo-vidéo) de la légendaire librairie indépendante parisienne Un Regard Moderne ( https://www.facebook.com/UnRegardModerne/ ) pour célébrer les 60 ans du mythique BEAT HOTEL, épicentre de la Beat Generation à Paris... Votre présence est un évènement ! Les lectures auront lieu à l'intérieur de la librairie (n° 10), et aussi devant le Beat Hotel (n° 9). lecture de poèmes (bilingue) avec: - STEVE DALACHINSKY (NYC): jazz poem + évocation de william burroughs -HENRIK AESHNA (Paris): "Mydriase", poème-bombe-conversation en hommage à CLAUDE PELIEU - HAIKUT-UPS (modalité poétique expérimentale inventée par Aeshna, en mélangeant haiku & cut-up), KOKAIN, en copulant Burroughs, Patti Smith, Anita Berber, Sebastian Droste, et Sainte Thérèse de Lisieux lecture de textes Beat (bilingue): - EMMANUEL BARROUYER (Paris): mashup/cut-up créé par Henrik Aeshna avec des extraits en français de Allen Ginsberg, Gregory Corso, William Burroughs, Brion Gysin, Harold Norse, Sinclair Beiles, avec une épigraphe-évocation sur le peyote de Henri Michaux, et une intervention d'Arthur Rimbaud (Illuminations) + - JAMIKA AJALON (US) - MALIK CRUMPLER (US) Venez nombreux le 3 NOVEMBRE - entre 15h et 16h - Librairie UN REGARD MODERNE 10 Rue GÎT-LE-COEUR, PARIS 75006 Métro: SAINT-MICHEL "La cloche, en argot, c'est le ciel. Sont clochards tous ceux qui n'ont que le ciel pour toit. "Le clochard parisien a deux amours : le vin rouge et la Seine. Pour le vin rouge, il consent à faire le minimum d'efforts compatibles avec sa dignité de chômeur perpétuel. Quant au fleuve, pour le réfractaire qu'est le clodo, il a valeur de symbole. Malgré le corset de pierre de ses quais, malgré les barrages, il coule, se faufile, fuit, tenace et silencieux vers la liberté. C'est en regardant l'eau et en buvant le vin que le clochard est heureux." ROBERT GIRAUD (1921-1997), Le peuple des berges "les bateaux sont la dernière image qui nous reste pour fuir mais seules les paroles nous enivrent. "j’entends la rumeur du vent va mon âme va-t-en là où tu voudras t’en aller" Al Berto, poète portugais "On ne peut pas tout comprendre. Disons que la vie, on ne peut pas à la fois la vivre et l’analyser. Il faut choisir l’un ou l’autre." "La mieux, c'est de prendre la réalité, brute, comme elle t'arrive dessus dans la rue. Tu l'attrapes des deux mains et si tu as assez de force tu la soulèves et tu la laisses tomber sur la page blanche." "J'ai toujours cru qu'il était possible de vivre dans l'ordre, l'équilibre, la modération. Tout le monde s'était ligué pour m'enfoncer ça dans la caboche, l'école, les parents, l'Eglise, la presse. Patrie, discipline et liberté. Liberté, égalité, fraternité. La vie est pure, belle, parfaite. Comme dans une revue de décoration intérieure : tout aligné au millimètre, pas un grain de poussière en vue, pas même une minuscule toile d'araignée dans un coin. Mais ensuite, je suis allé voir dehors. Dans la rue. Seul. Et là, toutes ces idées se sont écroulées. Confusion totale. Tout autour de moi, je n'ai aperçu que désordre et déséquilibre. Aucune pièce ne s'emboîtait dans l'autre. Découvrir ça à quinze ans, c'est flippant. Folie, panique, chaos et vertige." "C'est peut-être ce qui m'a sauvé : les cuites, les femmes, faire sortir la rage, tout envoyer bouler, ne rien attendre de personne. Et écrire. Ivre, aux aurores, j'écrivais des nouvelles sur tout ce qui m'arrivait. C'était très amusant. Et j'ai continué. Et j'en suis là." "C’est que le sexe n’est pas fait pour les scrupules. C’est un échange de liquides, de fluides, de salive, d’haleine, d’odeurs fortes, d’urine, de sperme, de merde, de sueur, de microbes, de bactéries. Ou sinon, ça n’existe pas. Si ça se limite à la tendresse et aux sentiments éthérés, alors ce n’est plus qu’une parodie stérile de ce qui aurait pu être. C’est-à-dire rien." PEDRO JUAN GUTIERREZ, Trilogie Sale de la Havane & Nid de Serpent PARTIR
S'il vient sauras-tu le prendre le navire annoncé par les cinq océans Sauras-tu éviter les vagues qui viennent mordre le rivage L'écume dans la gueule blanche à faire reculer la nuit Pour que le jour ne s'achève jamais Pour que tu ne te reposes plus Il y a tant à faire sous le soleil S'il vient sauras-tu l'ennoblir ce bateau Décroche un croissant de lune Et voici une coque longue et fine comme une goélette Taille quelques rayons de soleil Et voilà un fier trois-mâts qui relève la tête Saisis une étoile filante en vol Et tiens bon la barre aux cinq épines de lumière Déchire la queue d'une comète Et mets toutes voiles de feu dehors Vers le Nord Au pays des couleurs bleues où la neige est blanche Où les troupeaux de rennes traversent les vallées qui descendent dans les fjords Nous donnant la mer à la bouche Vers le Nord où vagabondent les poésies Qui nous entraînent dans les pays du beau et du bon Pars comme se baladait le nain sur l'oie sauvage Tu prendras le premier oiseau qui dépliera ses ailes devant ta maison Ses plumes racontent que dans le froid il y a une odeur de cheminée Une main qui désire la tienne Des moufles en laine de toutes les couleurs qui galopent sur la prairie Écoute le chant des bâtisseurs de cathédrales Leurs voix maçonnent des fenêtres dans nos cœurs Leurs mains nous montrent les épaves des châteaux de sable S'agenouillant à la marée Implorant la princesse à la robe d'écume Pour qu'elle revienne du nouveau monde Nous raconter des histoires à dormir debout contre la vie YVON LE MEN, Le jardin des tempêtes: Choix de poèmes 1971-1996, Ed. Flammarion "Angèle Vannier, aveugle, préserve tout de l'ombre. Merveilleusement" (Paul Éluard) Angèle Vannier (1917 - 1980). Devient aveugle à 22 ans. Écrit pour Édith Piaf (Le chevalier de Paris), réalise des émissions et des pièces de théâtre radiophoniques. Parmi ses autres recueils : Avec la permission de Dieu (Seghers, 1953) ; Théâtre blanc (Rougerie, 1970) ; Parcours de la nuit (Librairie bleue, 1978) ; Otage de la nuit (essai, Librairie bleue, 1978) ; Poèmes choisis : 1947-1978 (Rougerie, 1990). L'arbre à feu (extraits), La nuit Ardente, & poèmes choisis
Entre la pluie et le soleil L'aveugle touche l'arc-en-ciel L'aime, le respire et l'écoute Sans s'étonner que sur sa route Un bras ami des yeux du cœur Ait envoyé les sept couleurs. * Je dis Violet quand les statues Rêvent de Pâques revenues L'Indigo sur ma langue passe Quand je la passe à l'eau de grâce Où la boule miraculeuse Fut plongée par quelques laveuse. Je dis Bleu quand les hirondelles Reconnues au bruit de leurs ailes Rentre au nid de ma tourelle… Je dis Rouge quand ton amour Se met à traverser ma nuit… J'adhère J'adhère au chant du berger solitaire qui use du bois de son propre corps pour alimenter le feu créateur J'adhère au voyou à l'œil louche qui jette son mégot contre une meule de paille pour griller l'antre du métayer J'adhère à la jeune fille qui se noie dans les eaux inférieures pour un simple chagrin d'amour J'adhère à la chute des eaux supérieures qui lavent notre crasse et fait des vierges avec des putains épuisées J'adhère aux crucifiés de tous les siècles pour cause de guerre de religion J'adhère aux filles de joie qui se promènent dans les chansons à boire assassinées par les rouliers dans les soupentes J'adhère au feu à l'eau quelles que soient leurs sources et leurs embouchures J'adhère à l'élément trouvé pour faire la soudure dans les mines de la nature. * La quatrième chambre est un ventre de pluie La voyeuse affutée jusqu'au faîte du regard Dort dans la dormition de cette prose humide et ronde investie par son double au comble de sa chair Un nénuphar aveugle a surgi de ses paumes De voyeuse à voyante il existe un loup blanc qui écarte en rêvant les cuisses de la femme pour peu qu'elle consente à ce ventre de pluie le soir où les chasseur visent des roses mâles Présence d'un château Ce château m'appartient ce soir jusqu'à la gorge Mon cri nourrit la nuit tournante des couloirs Et les grands escaliers que mes pas interrogent Et l'ombre d'un passé qui voûte le miroir J'ai refermé sans bruit les ailes des horloges Et décousu tout un réseau de portes vierges De mémoire Mon souffle aiguise une épée morte et mon regard Ouvre un bal sous la peau d'un crime par hasard Tous les tableaux que je rencontre me ressemblent Toutes les rondes que j'allume tournent court Pourtant je puis ici filer le feu et tout ensemble Comme on garde le lit je puis garder la tour Des eaux remuent sous les paupières de la cendre C'est un étang Que j'aimerais ne pas trahir avant le jour Il portera le même nom que moi les nuits d'orage Puisqu'il surgit du même sang Du même amour Je convoite l'étang mais je garde la tour Il ne réglera plus les jeux de ton visage Sur le vol des canards sauvages Voyez il a changé de cygne entre deux pages Pour troubler la face du jour (Le sang des nuits. - Seghers, 1966. Reproduit dans l'anthologie de Bruno Doucey, Jean-Pierre Siméon, Emmanuelle Leroyer et Anne Dieusaert : C'était hier et c'est demain : 65 poètes disparus (Seghers, 2004). * Gaël extrait de son sac à dos une boite d'allumettes, un paquet de bâtonnets d'encens, un traité de magie de Papus, un couteau et de vieux journaux. Il pose le tout sur la grande dalle de granit où Viviane et Merlin, d'après la légende, se sont pris l'un pour l'autre d'un amour fou que l'usure des siècles n'a pas réussi à entamer. Anne dit : --- Quelle folie, Fabienne ! Quelle folie de nous avoir entraînés ici ! Brocéliande ! Il est environ onze heures du soir. C'est la nuit de la Saint-Jean d'été, le solstice d'été. Fabienne rayonne : elle a atteint son but en temps voulu. Elle est à genoux au bord de la fontaine. Gaël la regarde : elle n'est pas jolie ; pourtant Gaël a tapissé sa chambre d'une série de portraits de Fabienne dessinés par lui. Il a cru souvent puiser dans la contemplation de ce visage au front bas, aux pommettes saillantes, au menton volontaire, l'énergie dont il a besoin pour secouer son penchant à la rêverie confuse, car il sait que quand Fabienne, elle, s'engage dans le rêve, c'est pour creuser les fondations de quelque chose qui avec le temps fini toujours par prendre corps. (La nuit ardente) QUI EST ANGÈLE VANNIER ? par Nicole Laurent Un nom trop oublié, une étoile qui a passé dans le ciel surréaliste, une aveugle voyante. C’est d’abord une jeune fille de la bourgeoisie rennaise qui fait ses études de pharmacie. Un jour à la table de famille elle déclare qu’elle devient aveugle. On se récrie que c’est encore Angèle qui veut faire son intéressante. Mais c’est un glaucome qui se déclare et la laisse aveugle à 22 ans. On est en 1939. Non, c’était d’abord une enfant que sa mère avait confiée à l’âge de huit mois à la grand-mère, on est en avril 1918, à la fin de la grande guerre. Est-ce nécessité d’aller à la campagne pour avoir du lait ? Est-ce fatigue de la mère ? Angèle n’a jamais su et s’est forgé une légende autour de cette demeure, le Châtelet à Bazouges-la-Pérouse, où vivaient à l’époque quatre femmes sans un seul homme, deux vierges et deux veuves, comme elle disait : la servante et la tante fille de la grand-mère d’une part, la grand-mère et sa belle-sœur d’autre part. L’enfant y restera jusqu’à l’âge de huit ans, pourquoi si longtemps ? Là encore énigme. La petite fille y est choyée comme une reine. Ensuite elle retourne à Rennes dans sa famille et va à l’école de l’Immaculée. Devenue aveugle, Angèle Vannier quitte sa famille et retourne dans la demeure où elle a vécu son enfance, entre la servante et la tante seules, la grand-mère et la grand-tante étant mortes. Elle reste un an sans rien faire d’autre qu’apprivoiser ce monde nouveau où la hiérarchie des sens est bouleversée. Alors elle écrit ou plutôt elle dicte des poèmes, elle marche dans la forêt, elle fait du tandem et peu à peu elle renaît à la vie. Une amie lui lit les poètes et « Le Goéland » le journal de Théophile Briant auquel elle est abonnée. Elle y envoie ses poèmes qui sont publiés, elle reçoit le prix de poésie et Théo préface son premier recueil : Les songes de la lumière et de la brume, paru en 1946. La cécité qui l’a abattue pendant un an, où elle s’est enfermée comme dans un cocon, un nouvel utérus, elle en fait son cheval de bataille, l’acceptant, mieux encore la revendiquant, la choisissant comme dans ce poème : S’ils venaient du bout du monde Avec leurs petits couteaux Dont la pointe est sans défaut Pour tuer mes yeux nouveaux ………. Je lâcherais mes bons chiens Sur leurs gueules d’assassins Et m’endormirais tranquille Aux plis de ma bonne ville. Plus tard elle dira : « Mes yeux fondirent dans ma bouche / Je pris la nuit comme un bateau la mer », verbe actif, mais aventure aussi sur cette mer d’inconnu et de périls. Elle vit cela comme un défi, veut vivre comme tout le monde, sans apprendre le braille, sans canne blanche. La crainte que la cécité ne lui ferme les portes de l’amour. Ah ! comment voulez-vous qu’on s’aime Sans se regarder dans les yeux ? dit-elle dans La fille aveugle. Rentrée à Rennes, elle fait des émissions de radio à Radio-Rennes avec Per Jakez Helias, sortes de scénarios poétiques et ancrés dans la légende. Elle fréquente la faculté des Lettres. A partir de 1947 elle voyage à Paris, seule et sans canne blanche. On la conduit à la gare de Rennes, un ami l’attend à Montparnasse. Elle assiste aux dîners de Théophile Briant à la brasserie Lipp où elle rencontre des poètes comme Germaine Beaumont, Charles Le Quintrec, Luc Bérimont, Maurice Fombeure. Elle fréquente le Tout Paris. Un temps, un journal à sensation l’accuse en première page de vouloir détrôner Edith Piaf qui ne fait qu’en rire. Elles sont amies, ont même taille, même allure, même manteau, même présence de la voix et Angèle fait des spectacles de lectures et chant. Elle écrit Le Chevalier de Paris qu’Edith Piaf va créer et qui fera le tour du monde en plusieurs langues, en allemand avec Marlène Dietrich, en anglais avec Sinatra ou Bing Crosby, plus tard reprise par Yves Montand ou Catherine Sauvage. A Paris également Angèle rencontre Paul Eluard, et par lui le surréalisme qui va marquer un tournant dans son œuvre. Eluard reconnaît en elle un grand poète et préface son deuxième recueil: L’Arbre à feu, paru en 1950, où il dit « Angèle Vannier préserve tout de l’ombre, merveilleusement. » Désormais la vie et l’œuvre de la poète aveugle s’interpénètrent et elle sait se créer un monde avec des personnages hauts en couleurs. Elle met en scène la demeure de l’enfance, où la servante lui contait les histoires de loups, de fées, de princes, la grand-mère lui chantait la violette double ou le furet du bois joli, la grand-tante aux bijoux d’améthyste ne quittait pas sa chambre et se serait pendue. Enfin Mademoiselle, sa tante, à la religion si austère, racontait Angèle, qu’elle ne voulait point s’asseoir sur une chaise où un homme aurait pris place avant elle. Atmosphère étouffante pour la jeune poète au point qu’il lui faudra bien un jour « brûler les bibles de famille et briser le sablier légué par les aïeux » pour oser vivre enfin la grande révélation de la chair. De poèmes rimés et rythmés, dont certains ont fait des chansons, où le folklore enfantin des loups, des bergères et des contes et les références bibliques tiennent une large place, elle passe à des textes plus énigmatiques, plus symboliques d’où émerge peu à peu non plus la jeune fille, mais la femme dans tout son épanouissement. Elle passe selon le mot d’André Guimbretière « d’une écriture de représentation à une écriture d’apparition ». Elle ne dit plus le monde tel qu’il est ou rêvé mais crée un nouveau monde grâce à des images fortes et colorées. C’est désormais un monde de sensations : odeurs, sons, touchers, mais aussi et paradoxalement un monde de clair-obscur et de couleurs : « Un loup s’endort au cœur d’un triangle écarlate ». Les citations seraient nombreuses. Angèle s’est mariée et, grâce sans doute à des lectures conjointes et à l’influence surréaliste, l’astrologie, la psychanalyse, la psychologie des profondeurs viennent nourrir son imaginaire. Le Choix de poèmes paru chez Seghers en 1961, témoigne de cette évolution. Mais c’est dans Le sang des nuits, paru chez le même éditeur en 1966 que la métamorphose est complète. Parallèlement elle écrit un roman, La nuit ardente paru en 1969 chez Flammarion où la Bretagne se fait toute présente avec ses rites, ses légendes et ses mystères. Il ne faut pas se le cacher, les poèmes de la seconde époque d’Angèle Vannier sont difficiles, énigmatiques. Mais quelques clés nous aident à entrer dans son monde où l’étrange de la vie se révèle à travers des mots concrets qui font image et symbole : le miroir, l’horloge, le château, la couleur bleue et la nuit, la nuit, la nuit. Ce qui fait difficulté c’est la collusion des mots, ces images surprenantes, surréalistes encore une fois, et la densité de l’écriture. C’en est fini des phrases construites logiquement, des vers rimés, ici ce sont des juxtapositions, des infinitifs, des ruptures de ton. L’anecdote s’efface au profit d’une profusion de sensations, couleurs, sons, touchers. Ce ne sont plus les contes mais désormais les mythes, celui de Mélusine en particulier, et celui d’Œdipe ou de don Juan qu’elle mâche, rumine, recrée et décortique. Pour conclure, je voudrais citer quelques lignes de Jean-Pierre Siméon dans la revue ARPA n° 45 : “ Angèle Vannier qui ne s’est jamais enfermée dans un système de pensée, dans une perception univoque de la réalité, a eu recours simultanément aux symboles de l’astrologie, des cartes, des mythologies, voire de la culture populaire telle qu’elle s’exprime dans la culture gallèse, bref elle a sollicité tout ce qui, plongeant par ses racines au plus profond de l’inconscient collectif, pouvait restituer au travers d’un langage allusif et analogique l’énigme qui l’obsédait et nous obsède désespérément. Si l’on songe aujourd’hui à cerner l’originalité de l’apport d’Angèle Vannier dans la poésie contemporaine, c’est là à mon sens qu’il faut chercher : usant avec audace des chemins les plus improbables un poète nous invite à nous reconnaître dans l’inconnu. " XAVIER GRALL, Oeuvre Poétique, Rougerie, 2010 Et maintenant donnez-moi un double verre De Scotch Chaud comme la paille de l'été Blond comme une fille du Nord Afin que la rage d'aimer Traverse mon corps et mon âme Et maintenant allumez-moi ce Bar De toute l'allégresse de Midi Ouvrez les portes sur la bonté de la rivière Je veux voir les saules Frémir sur les roselières Et maintenant donnez-moi un double verre De Scotch Brun comme ma maison de maïs Vitre magnétique et fraternel Que l'alcool fulgure mes pensées XAVIER GRALL, Oeuvre Poétique, Rougerie, 2010 Xavier Grall (1930-1981) a été le barde d'une Bretagne rêvée. Dans ses nombreux textes – il fut poète, essayiste, journaliste, romancier – il chantera toujours une vision unique et personnelle de son pays et de son peuple. Excessif et passionné, tendre et torturé, Xavier Grall est l'une des plus grandes plumes de la littérature bretonne de langue française. "Cela commença sous les rires des enfants, cela finira par eux." "chevalet féerique !" "ce poison va rester dans toutes nos veines même quand, la fanfare tournant, nous serons rendu à l'ancienne inharmonie." "Hourra pour l'œuvre inouïe et pour le corps merveilleux, pour la première fois !" "cela finit par une débandade de parfums." "On nous a promis d'enterrer dans l'ombre l'arbre du bien et du mal, de déporter les honnêtetés tyranniques, afin que nous amenions notre très pur amour." Matinée d'ivresse
Ô mon Bien ! Ô mon Beau ! Fanfare atroce où je ne trébuche point ! chevalet féerique ! Hourra pour l'œuvre inouïe et pour le corps merveilleux, pour la première fois ! Cela commença sous les rires des enfants, cela finira par eux. Ce poison va rester dans toutes nos veines même quand, la fanfare tournant, nous serons rendu à l'ancienne inharmonie. Ô maintenant, nous si digne de ces tortures ! rassemblons fervemment cette promesse surhumaine faite à notre corps et à notre âme créés : cette promesse, cette démence ! L'élégance, la science, la violence ! On nous a promis d'enterrer dans l'ombre l'arbre du bien et du mal, de déporter les honnêtetés tyranniques, afin que nous amenions notre très pur amour. Cela commença par quelques dégoûts et cela finit, — ne pouvant nous saisir sur-le-champ de cette éternité, — cela finit par une débandade de parfums. Rires des enfants, discrétion des esclaves, austérité des vierges, horreur des figures et des objets d'ici, sacrés soyez-vous par le souvenir de cette veille. Cela commençait par toute la rustrerie, voici que cela finit par des anges de flamme et de glace. Petite veille d'ivresse, sainte ! quand ce ne serait que pour le masque dont tu nous as gratifié. Nous t'affirmons, méthode ! Nous n'oublions pas que tu as glorifié hier chacun de nos âges. Nous avons foi au poison. Nous savons donner notre vie tout entière tous les jours. Voici le temps des Assassins. ARTHUR RIMBAUD, Illuminations "une somnambule échappée d’un poème de Yeats, au milieu des rochers blancs et de la mer verte du Nord..." Octavio Paz à propos de Leonora Carrington (1917-2011) "Each night the men look so surprised / I change my sex before their eyes..." - Songs/Lyrics: Liza Minnelli/Charles Aznavour My mum and i we live alone A great apartment is our home In fairhome towers I have to keep me company Two dogs, a cat, a parakeet Some plants and flowers I help my mother with the chores I wash, she dries, i do the floors We work together I shop and cook and sew a bit Though mum does too i must admit I do it better At night i work in a strange bar Impersonating every star I'm quite deceiving The customers come in with doubt And wonder what i'm all about But leave believing I do a very special show Where i am nude from head to toe After stripteasing Each night the men look so surprised I change my sex before their eyes Tell me if you can What makes a man a man At 3 o'clock or so i meet With friends to have a bite to eat And conversation We love to empty out our hearts With every subject from the arts To liberation We love to pull apart someone And spread some gossip just for fun Or start a rumour We let our hair down, so to speak And mock ourselves with tongue-in-cheek And inside humour So many times we have to pay For having fun and being gay It's not amusing There's always those that spoil our games By finding fault and calling names Always accusing They draw attention to themselves At the expense of someone else It's so confusing Yet they make fun of how i walk And imitate the way i talk Tell me if you can What makes a man a man My masquerade comes to an end And i go home to bed again Alone and friendless I close my eyes, i think of him I fantasise what might have been My dreams are endless We love each other but it seems The love is only in my dreams It's so one sided But in this life i must confess The search for love and happiness Is unrequited I ask myself what have i got Of what i am and what i'm not What have i given The answers come from those who make The rules that some of us must break Just to keep living I know my life is not a crime I'm just a victim of my time I stand defenceless Nobody has the right to be The judge of what is right for me Tell me if you can What make a man a man Tell me if you can Tell me if you can Tell me if you can What makes a man a man J’habite seul avec maman Dans un très vieil appartement Rue Sarasate J’ai pour me tenir compagnie Une tortue, deux canaris Et une chatte Pour laisser maman reposer Très souvent je fais le marché Et la cuisine Je range, je lave, j’essuie A l’occasion je pique aussi A la machine Le travail ne me fait pas peur Je suis un peu décorateur Un peu styliste Mais mon vrai métier, c’est la nuit Que je l’exerce, travesti Je suis artiste J'ai un numéro très spécial Qui finit en nu intégral Après strip-tease Et dans la salle je vois que Les mâles n’en croient pas leurs yeux Je suis un homme, oh ! Comme ils disent Vers les trois heures du matin On va manger entre copains De tous les sexes Dans un quelconque bar-tabac Et là, on s’en donne à cœur joie Et sans complexe On déballe des vérités Sur des gens qu’on a dans le nez On les lapide Mais on le fait avec humour Enrobé dans des calembours Mouillés d’acide On rencontre des attardés Qui pour épater leur tablée Marchent et ondulent Singeant ce qu’ils croient être nous Et se couvrent les pauvres fous De ridicule Ca gesticule et parle fort Ca joue les divas, les ténors De la bêtise Moi les lazzis, les quolibets Me laissent froid puisque c’est vrai Je suis un homo Comme ils disent A l’heure ou naît un jour nouveau Je rentre retrouver mon lot De solitude J’ôte mes cils et mes cheveux Comme un pauvre clown malheureux De lassitude Je me couche mais ne dors pas Je pense à mes amours sans joie Si dérisoires A ce garçon beau comme un dieu Qui sans rien faire a mis le feu A ma mémoire Ma bouche n’osera jamais Lui avouer mon doux secret Mon tendre drame Car l’objet de tous mes tourments Passe le plus clair de son temps Aux lits des femmes Nul n’a le droit en vérité De me blâmer, de me juger Et je précise Que c’est bien la nature qui Est seule responsable si Je suis un homo Comme ils disent "C’est si bon de désobéir. Ah! cela m’ennuie de vieillir !"* "Adieu poupée, adieu leçons Il va falloir fair’ des façons. Le mois prochain je serai vieille On m’appell’ra Mademoiselle, Mademoiselle ? On m’emmèn’ra danser au bal Je pourrai sans faire de mal Mettre du rouge et fair’ des choses, On me donn’ra des bouquets d’ roses. Ça m’ennuiera j’aim’ pas les fleurs Ni le rouge à lèvres. J’ai mal aux dents, j’ai mal au cœur Et j’ai la fièvre. Cette vie est triste à mourir Ah ! cela m’ennuie de vieillir."* * Robert Desnos, extraits de "Papier buvard" Adieu ma vie, je fais la belle Adieu ma vie et ses tracas Moi, je me tire pour toujours J'ai rencontré le grand amour Et je ne veux pas le mélanger à mon passé À mes ennuis de chaque jour Pour cette fois, vous ne m'aurez pas Adieu ma vie toute en dentelle À l'ombre de la tour Eiffel Adieu ma vie, je me retourne pas Je n'ai pas un seul regret pour toi Je ne t'aimais pas J'ai rencontré le grand amour Et je me tire à tout jamais Sans le moindre regret pour toi Adieu ma vie tracée d'avance Ce petit chemin qui va tout droit À moi les horizons immenses Respirer en ouvrant les bras Pouvoir chanter Aimer sans plus penser à rien Sans lendemain, sans aucun lien D'un jour à l'autre, tout comme ça vient Adieu ma vie, je fais la belle Adieu ma vie et ses tracas Moi, je me tire pour toujours J'ai rencontré le grand amour Et je ne veux pas, Le mélanger à mon passé À mes ennuis de chaque jour Pour cette fois, vous ne m'aurez pas ! Paroles et Musique: Cyrus Bassiak (Serge Rezvani) 1963 "Jeanne Moreau chante 12 chansons de Cyrus Bassiak" © Production Jacques Canetti autres interprètes: Serge Rezvani (2006), Helena Noguerra (2007) Elle avait des yeux, des yeux d'opale... Qui me fascinaient, qui me fascinaient Souffle, beugle comme un fou
En pensant à Alain Jégou (1948-2013) Souffle, Vieil Ange, souffle, beugle comme un fou Souffle Je veux tout ça maintenant Ta chemise rouge, une vieille Chevrolet 36 Et une grande bouteille de vin de Tokay Souffle Je veux tout ça moi aussi Tes gestes existentiels, ton émoi, tes braillements Ta vraie vision secrète de l’éternité d’or Et bien d’autres choses encore Souffle, Vieil Ange, souffle, beugle comme un fou Souffle Je veux tout ça maintenant Flânocher, rouler sous les ponts Me payer du bon temps Souffle Je veux tout ça moi aussi Passer des journées à rêvasser Faire le con et ne me soucier de rien Ni de la dinguerie de la vie ni de ma misérable solitude Souffle Les lèvres collées sur le bec de ton saxophone Fais retentir tes notes, swingue avec nonchalance Une trille, un gargouillis Souffle Je veux tout ça moi aussi Tes quatre mesures, une mélodie cuivrée Un bêlement furieux Chante-moi ton chorus déchaîné Souffle, Vieil Ange, souffle, beugle comme un fou Souffle Je suis un dément amoureux de la vie Englouti par la nuit, je ne me soucie de rien Et je transcris les sons de mon esprit Souffle Le cœur joyeux, envoyé en l’air Mes yeux brillent, ah-ha ! Comme si c’était pour la première fois dans la pâle éternité Souffle, Vieil Ange, souffle, beugle comme un fou Souffle Sois-moi clément Il y a dans l’air l’exaltation du jazz Il y a de l’allégresse Un grand frisson dans le vent Souffle Je veux tout ça moi aussi Des signes prophétiques chuchotés Des visions, des vociférations Et un nouveau break sauvage Souffle Souffle tes notes dingues Souffle une mélodie mélancolique Souffle et rêve que la vie est un rêve Souffle et laisse le bon temps rouler O ange de la solitude Perché sur le bord de la route Vide et éveillé Torturé et incompris Dans ta transe, debout Insouciant et buvant de la bière Souffle Comme si rien n’était jamais arrivé Souffle, ange silencieux du printemps Souffle avec ardeur Souffle à l’instant même Souffle en marchant du côté ensoleillé de la rue Souffle en saluant les péniches et les autobus de mon vieux Paris Souffle dans le murmure incessant de la ville Souffle au fond d’un café où tu te caches pour pleurer Souffle parce qu’ils t’ont percé les mains et les pieds Souffle parce que le monde est une horreur sans fond Souffle devant le tombeau vide Souffle tes quatre mesures pour aller en paix dans le vent du printemps Souffle, Vieil Ange, souffle, beugle comme un fou Souffle Je veux tout ça maintenant Tes ailes ruisselantes Ton cœur joyeux et épuisé Souffle Je veux tout ça moi aussi Faire encore une grande virée M’agiter dans tous les sens Bondir et courir Et me réveiller une dernière fois les cheveux au vent au bord de la route. In memoriam Alain Jégou Sorti à tâtons dans la nuit tombante Ciel âpre et froid Triste Perdu dans le fracas le flot ininterrompu du monde Livré à ma solitude Assis dans la nuit décharnée Je reste Implorant la paix invisible L’instant le hasard notre bonne étoile La clé de notre jeunesse perdue L’oiseau qui donnait la sensation du bonheur Mirages miraculés sous la morsure des vents Bourlingueur de l’océan Il était comme le vent qui fait glisser l’écume Comme la pluie dans le cœur des nuages Comme la foudre Il a pris le cap Il est entré en silence dans le monde du rêve Il est entré au pays dont nul ne revient Projeté nu dans la lumière écrue Et maintenant qui hissera les voiles contre vents et marées ? Qui rugira le dernier poème acide sexe et rock and roll ? Qui franchira la passe Ouest pour se bâfrer de visions ? Qui rendra tous les poissons à l’océan ? Le cri de la mer dans les oreilles Et maintenant qui m’appellera frère ? Qui versera du vin pour me consoler ? Qui braillera avec moi à tue-tête sans se soucier du lendemain ? Qui m’accompagnera dans ma longue nuit ? Tous sanglots ravalés Je détourne la tête pour cacher mes larmes Je sais seulement qu’il est parti Je ne sais où (Les vers en italique sont extraits de « Une meurtrière dans l’éternité ») Bruno SOURDIN ...et d'invoquer mes dieux, le dieu Jazz par exemple... CLAUDE NOUGARO (1929-2004), C'est dit, Editions Gallimard, 2006 |
Author"PARIS est un vertige Archives
May 2018
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